Pour un compte personnel de (de)formation professionnelle !
À quoi peut-on raisonnablement former ? Qui peut aujourd’hui, en toute honnêteté, endosser la posture de formateur ou d’expert, de maître ou de sachant pour former au «monde qui vient» (1) ? Quel serait d’ailleurs ce bagage de connaissances prétendument nécessaire qui pourrait garantir une traversée sans turbulence du XXIème siècle ? Existe-t-il seulement ?
Jeunes diplômées de Sciences Po, engagées dans la transformation des organisations et des territoires, telles furent nos questions au moment de concevoir le programme de formation en immersion baptisé «Les Voyages Apprenants». Ces questions sont nécessaires à l’heure de la réforme de la formation professionnelle. Elles sont légitimes dans notre société marquée par une «transition fulgurante» (2).
Qu’il nous soit permis de proposer des pistes de solutions, avec un brin d’audace.
Osons dire que l’enjeu d’aujourd’hui est davantage celui de la «dé-formation» professionnelle que celui de la formation.
Osons dire que former hâtivement sans prendre le temps de saisir les enjeux des mutations en cours, d’en lire les signaux faibles et de s’en laisser étonner, serait une entreprise vaine, inefficace voire contreproductive.
Osons dire ainsi que toute entreprise pédagogique doit être repensée tant dans sa «forme» que dans ses contenus, pour appréhender les nouvelles manières de faire par de nouvelles manières d’apprendre.
Dans tous les esprits, même les plus convaincus du nécessaire «changement de modèle», prédominent des modes de représentation segmentés, centralisés, hiérarchisés. La transformation de ces systèmes ne se décrète pas. Ne nous y trompons pas : quelques formules bien senties comme «organisation agile», «entreprise libérée» ou «intelligence collective» ne pourront venir à bout aisément de plusieurs siècles de jacobinisme. La transformation d’un système est d’abord un processus mental qui se construit dans l’imaginaire, s’appréhende comme une culture et requiert ce minimum d’ingénuité nécessaire à tout apprentissage.
Alors voilà, pour nourrir l’intelligence dont les hommes et les femmes d’aujourd’hui ont besoin pour appréhender la modernité, nous proposons de les faire voyager. Les jeunes gens de la Renaissance ne s’y prenaient pas autrement pour parfaire leurs humanités en arpentant l’Europe du «Grand Tour», ni Montesquieu lui-même en façonnant «Usbek» et «Rica», les désormais célèbres voyageurs des Lettres Persanes.
Notre proposition ? Des parcours immersifs à Paris et en région pour plonger dans ces territoires – si proches et pourtant si éloignés de nos modes de représentation – que constituent les fablab, incubateurs de startup, espaces de coworking et autres tiers-lieux. Nul besoin de faire des kilomètres pour se laisser dépayser. Ici et là, des communautés se constituent autour de nouveaux services. Des hommes et des femmes bouleversent des filières en positionnant leur modèle au plus près de leurs utilisateurs. Des technologies s’inventent qui préfigurent l’avenir de nos villes. Des lieux émergent où s’hybrident les dynamiques sociales, citoyennes, entrepreneuriales et culturelles.
Délaissant le discours de l’expert ou la posture du formateur, nous préférons celle de modestes guides, de facilitateurs de curiosité, de créateurs d’étonnement. Élus, fonctionnaires territoriaux, ou directeurs des administrations, tous acteurs du service public, c’est à eux que s’adressent nos parcours. Résolument optimistes, nous parions sur leur capacité à se laisser réinterroger au contact de l’innovation. Nous misons sur leur intelligence à percevoir que ces mutations les engagent, qu’elles dessinent de nouvelles pistes à investir par et pour l’action publique.
Alors, collectivement, osons le pas de côté.
Osons convertir le compte personnel de formation en Compte Personnel de (Dé)Formation Professionnelle.
Osons accorder, de temps en temps, des «autorisations de sortie» aux cadres de la fonction publique.
Osons sortir des standards de la formation proposés par habitude, par facilité ou par autorité et redécouvrir ainsi, par le voyage et l’expérimentation, le plaisir d’apprendre en faisant.
Prochain départ des Voyages Apprenants en mars 2016. Vous en êtes ?
Tribune co-signée par Marine Ulrich et Orianne Ledroit, publiée dans le magazine Socialter en Février 2016
(1) Selon l’expression de Michel Serres
(2) Pierre Giorgini, La transition fulgurante